Vers une psychiatrie démocratique dans le milieu de vie
Créer un système de soins de santé mentale dans le milieu de vie constitue un ambitieux défi pour une société. Un tel projet dépasse une réforme des structures des soins, actuellement dominées par l’hôpital psychiatrique. Il implique une transformation culturelle car, aujourd’hui, le regard porté sur les personnes qui ont des problèmes de santé mentale est rempli de préjugés. Il est inexact de considérer ces personnes comme plus dangereuses que les autres. Il n’y a pas de raisons de les isoler et de les priver des liens sociaux et affectifs dont elles ont évidemment besoin comme tout un chacun. Ces personnes peuvent assumer des responsabilités, endosser des rôles sociaux significatifs, aimer, apprendre, travailler dans la communauté… bref, être citoyens.
A Trieste, comme aux quatre coins de l’Europe, des expériences similaires ont prouvé que changer la manière de traiter les problèmes de santé mentale n’est pas qu’une utopie. Ce sont des aventures humaines et collectives, riches de rencontres et d’échanges qui confrontent sur la scène publique des approches, parfois conflictuelles, de nos manières de vivre ensemble. La réalisation de ce projet n’est donc pas un long fleuve tranquille. Pourtant, en se basant sur l’évaluation des expériences qui ont été menées, il existe aujourd’hui un consensus sur le fait qu’un système de soin de santé mentale bien implanté dans le milieu de vie donne des soins de meilleure qualité et une plus grande satisfaction aux usagers et à leurs entourages qu’un traitement en hôpital psychiatrique.
Le système à mettre en place doit être composé d’une multitude de services et d’acteurs en interaction, de manière à traiter une variété de situations et développer des approches qui conviennent à chacun. Il faut créer des centres de santé mentale, développer des dispositifs spécifiques (socioprofessionnels, socioculturels, associations de patients, lieux de rencontre, d’accueil…) mais aussi conserver quelques lits psychiatriques dans les hôpitaux généraux ou les installer dans les centres de santé mentale. Cela demande une reconversion des moyens financiers alloués actuellement aux hôpitaux psychiatriques (soit plus de trois quarts du budget consacré à la santé mentale) et une réaffectation du personnel dans les services du milieu de vie.
L’organisation des services doit se réaliser de manière à trouver des stratégies qui permettent de répondre aux besoins de santé mentale d’une population dans son ensemble. L’enjeu est de ne pas abandonner ou reléguer ailleurs les situations les plus difficiles. Une approche territoriale donne un cadre pour penser la mise sur pied des services en rapport à cette population. Il permet de définir une responsabilité des services vis-à-vis de toutes les situations psychiatriques sans exclusives.
Enfin, le système de soins de santé mentale à mettre en place doit être ouvert aux acteurs de la communauté, permettre des concertations démocratiques sur nos manières de vivre ensemble et plus spécifiquement sur nos façons de répondre aux problèmes de santé mentale. Le système doit permettre la participation des différents acteurs au-delà du champ des soins de santé mentale : la personne en souffrance mais aussi le médecin généraliste, l’aide familiale, la famille, des amis, les travailleurs sociaux… Il ne peut y avoir un mieux-être que si le soutien, l’aide et l’écoute sont pluriels et définis par la place de chaque acteur dans la vie de la personne en souffrance. C’est toute la communauté qui peut jouer un rôle thérapeutique.
Les expériences du Cheval Bleu ont tracé leur chemin en s’appuyant sans cesse sur des principes politiques et éthiques ambitieux : permettre à chacun de se trouver une place digne au sein de la société et de donner du sens à sa vie. Ce chemin n’a pas été une ligne droite et il n’est pas fini. Il a emprunté les détours que nous faisaient prendre celles et ceux que le projet a rencontrés. Conduit par un idéal démocratique ouvert sur la communauté, le projet a permis de faire participer de nombreux acteurs aux questions que soulèvent les problèmes de santé mentale qui, toujours, interrogent nos manières de vivre ensemble. La participation de ces citoyens a permis de rendre le projet plus concret en développant des solutions réalistes pour chacun. L’important est d’améliorer la vie quotidienne de l’usager et de ses entourages dans leurs environnements familiers. Alors, progressivement, l’utopie devient réalité.